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Potarement - Chapitre 05

Les Années Folles

Devant ce verre, je tombe sur une page d'un magazine ouvert qui fait la Pub d'une comédie musicale "Les Années Folles". Je souris et mon esprit repart dans mes souvenirs de ces années 80, le début des années folles, de notre passion qui connut son apogée dans les années 90, mais qui fut suivie par une répression sans précédent envers notre catégorie d'utilisateurs de la route.

Commençons par un peu d'histoire:

Dans les années 70 les motards, refusant le carcan social ambiant et traditionaliste, cherchent à développer un mode de vie autour de la solidarité entre tous les possesseurs de 2 roues isolés dans ces grandes villes qui poussent comme des champignons, et surtout diabolisés par le pouvoir en place et l'opinion publique.
Ces groupes de motards se rassemblent en associations, lesquelles se développent rapidement car le besoin de se solidariser est là. Les nouveaux arrivés dans le monde Motard viennent rapidement du côté de la Bastille rejoindre les troupes.
Les passionnés de la vitesse se rendent à Rungis comme on se rend à la Grand-messe et où ils viennent s'affronter tous les vendredi soirs sur les parkings des Halles sur des circuits improvisés entre les camions de livraison et les manutentionnaires qui travaillent la nuit.
La caractéristique principale de ces courses est d'être devant, mais malheureusement dans un flagrant manque total de sécurité.
L'hécatombe de ces Runs Sauvages amena des revendications de la part des assoces Motardes naissantes, qui s'appuient justement sur le nombre de victimes lors des escapades de Rungis. Leurs premières revendications furent de réclamer un circuit en Île-de-France ouvert à tous gratuitement pour assouvir notre passion, et un lieu où l'on puisse se réunir le vendredi soir.
Les pouvoirs publics de la sécurité routière, sous le poids de l'opinion publique, des associations Automobilistes et usagers, créèrent une Délégation à la Sécurité Routière. "
Il faut dire que le nombre de morts, tous véhicules confondus sur les routes, a presque doublé en 12 ans, passant de 9000 en 1960 à 12000 en 1972".
L'objectif premier est d'enrayer cette hécatombe et leur premier dossier fut "Les Motards" (Déjà à cette époque).
En 1978 le Directeur de la Sécurité Routière pointe du doigt la population motarde suite à une série d'accidents mortels survenus en marge du Bol D'Or qui prenait ses quartiers pour la première fois au circuit du Castelet dans le sud de la France.
Cette montée de l'accidentologie des 2 roues est imputée à la puissance, la vitesse des motos, le manque d'équipement des motards et le manque de formation de ceux-ci pour le type de machines distribuées par les constructeurs nippons. Déjà en 1978 l'idée des permis à paliers pointe son nez tout comme la limitation des importations de motos japonaises, ce qui provoque la colère du monde motard qui, à cette époque, se mobilisait plus qu'aujourd'hui. Les manifs regroupaient de 10 000 à 20 000 motards minimum sur Paris, des motards venus de toute la France. Les groupes de motards n'hésitaient pas à rouler toute la nuit, de Marseille ou autre, pour venir manifester à Paris et repartir juste après chez eux, une autre époque aussi.
Dans un souci d'apaisement le Gouvernement, suite à la montée de la revendication motarde, nomme Yves Mourousi comme Monsieur Moto, le premier du Nom, (le premier d'une grande farce politicienne aussi) pour servir de médiateur entre les différentes parties. Il s'agit à cette époque d'une figure emblématique du monde motard parisien pour les gouvernants, par contre les associations sont mitigées mais il fallait faire avec. Il dépendra du Ministère de la Jeunesse et des Sports et non de la Délégation à la Sécurité Routière, ce qui fut incompris par pas mal d'assoces motardes, mais la politique des fois....
En même temps, sous la pression de l'opinion publique, d'associations de sécurité routière et d'associations de riverains émues par le nombre constant de tués lors des RDV du vendredi soir à Rungis, (25 Motard(e)s décédés entre 1977 & 1978, sur les halles ou dans les environs), les politiques commencent à trouver dans les revendications des assoces motardes une solution pour calmer les différents Lobbies anti-motard et auto. Une façon pour eux de déplacer ailleurs le problème et endormir tout le monde, surtout les motards.
Le site de Tremblay-en-France est finalement retenu, et le Circuit est inauguré le 1er décembre 1979. Son nom sera celui de Carole en hommage à la jeune qui n'avait que 18 printemps quand elle décéda tragiquement lors de l'une des dernières descentes sur Rungis. Ce nom a été aussi donné au circuit pour que la mémoire des motards emportés par leur passion ne soit pas oubliée par les jeunes et les futures générations motardes.
La vocation sociale du circuit et le but de sa création furent vite oubliés par les gestionnaires pour des raisons de rendement. Il ne fut jamais ouvert le vendredi soir. Pour cette raison, dans les années 80, les motards ont pris le Périf comme nouveau Rungis le vendredi soir.

Je me souviens du Team des Copains que l'on avait constitué, une bande de passionnés du Taquinage de Goujon, en gros du taquinage de l'aiguille du compte-tours mais pas en dessous de 10 000 tours (voir plus). Notre groupe était aussi bien constitué de motardes que de motards. La Place de la Bastille devenant depuis peu de plus en plus investie par les flics, nous commençons à nous retrouver sur les Champs-Elysées. Cela nous rapprochait du Périf et de la porte Maillot, Point de départ de nos virées nocturnes sur le Périf. Tout était prétexte d'arsouilles, tout était prétexte de courses délirantes, tout était prétexte pour jouer les trompe-la-mort...

Un vendredi de juillet 84, il est 20h30 quand je me pointe avec le CX500 Turbo d'un pote directement porte Maillot. Le concept du turbo venait de la voiture mais à la différence de la voiture le temps de réponse lors du déclenchement du Turbo donnait des sensations inimaginables. Il ne fallait surtout pas le déclencher en courbe ou la gamelle était assurée. Le 500 avait les performances d'un 900 BO, qui était à son époque déjà énorme. La partie cycle de ces machines n'en suivait pas les performances et à chaque gros coup de gaz c'était la lutte entre le pilote et la machine. Donc arrivant à la porte Maillot m'attendait le groupe surpris par ma machine et sa position d'assise droite comme celle d'un roadster. Pour faire la course ce n'est pas TOP mais... ce jour là, arrive au RDV un mec que l'on ne connaissait pas, Coyote, avec son Yamaha 1000 TR1 motorisé avec un V2 et destiné au grand tourisme par son look mi-custom mi-routière. Le V2 type Harley ne fait pas recette chez les motards à l'époque; il faut dire que les quelques soucis concernant la fiabilité de ce type de moulin chez les japonaises n'étaient pas bon pour leur image de marque, surtout que le look bâtard de ce modèle n'était pas dans les mœurs du moment. Titi, un membre du Team, dit :

- Ça dit à qui de prendre un caf les pieds dans l'eau à la mer ?
- OUAIS sort l'ensemble.
- Ok alors on y va Cool, mais celui qui arrive dernier paye la 1ère Tournée. Rajoute Titi.

Le groupe se compose tout d'abord de Titi, roulant avec un Z1300 A3 de 1981, 6 cylindres, 325 Kg, 120 Ch, 11M/Kg de couple, 230 Km/h taquet, un son moteur version gros GAZ dû à ses DEVIL vides qui crachaient des flammes à chaque ré-accélération. Malheureusement son freinage n'était pas à la hauteur avec ses deux misérables étriers simples piston à l'avant. Au dessus de 130 Km/h il valait mieux savoir où l'on voulait freiner et prendre RDV avec sa main droite au préalable. Plus d'une fois Titi s'est fait des sueurs froides en nous doublant dans des freinages de FOUS. Ensuite il y a Narcis qui lui roule avec un Ducati 900S2 de 1982. Il y a aussi Philou et son Kawasaki Z1R de 1977, Daffy et son BMW R65LS 1981, Kate avec son Honda VF750F, Princesse et son Moto Guzzi 850 LeMansIII de 1981, Marcos et Sophie avec leur vieux Triumph X75 Hurricane de1973, Coyote et son Yamaha 1000 TR1 et moi-même.

Nous voici tous les dix partis sur la route en direction d'Honfleur. Jusqu'à Mantes la jolie on prend l'autoroute sur un rythme de 160 km/h max pour que Marcos puisse suivre. Puis vient la Nationale. Au premier arrêt essence Titi sort :

- Bon RDV à Honfleur, le 13 chauffe à cette allure de vieux.
- OK mais bon chacun à son rythme. RDV devant la mairie.
Rajoutai-je.
- Oui mais vous allez bouffer les gaz d'échappement de la GUZ, car sur le grand ruban vous aviez votre chance, mais là...
Rajoute Princesse.
- Tu rigoles mon BM avec ses ratiers et mes dernières modifs vont te mettre minable.
Sort Daffy.

Vous avez compris que le parcours entre Mantes et Honfleur fut le cadre d'une arsouille mémorable, les routes s'en souviennent encore aujourd'hui.

De 1983 à 1989 nos virées du vendredi soir étaient rythmées par n'importe quel prétexte pour s'arsouiller. Ce soir là c'était l'arrivée de Coyote, mais à chaque nouveau membre ou après l'achat d'une nouvelle de moto, c'était un prétexte suffisamment valable à nos yeux pour aller flirter avec les limites et la mort.

Ces pages ne suffiraient pas pour vous raconter toutes ces arsouilles, mais quelques unes sont restées au fil du temps gravées dans la mémoire collective, comme en ce vendredi soir d'Octobre 1986.

Le noyau dur du team des copains, team qui rassemble plus de 60 membres, est réuni sur les Champs. Nous partons en direction de la porte Maillot. Avec le temps nos armes se sont affûtées. Je roule sur un VF1000R aux couleurs du team Honda Rothman. Kate sur un Honda CB1100R de 1983, Titi sur une Kawasaki GPZ1000RX de 1986, Princesse dite aussi "Mis Guz" sur un Moto Guzzi 850 T5 de 1985, Coyote sur une Yamaha FJ1100 de 1983, Philou sur un Suzuki XN85 Turbo de 1984, et Daffy sur un Yamaha XJ650 Turbo de 1982. Marcos n'est plus depuis 1 an suite à un carton qui le conduisit aux pays des nuages. Le groupe a été rejoint depuis par Williams et son Suzuki Katana 1000 de 1982, Pitte Mouss et son Yamaha RD250LC de 1980 et son frérot Alain en Honda CB1100F de 1983...

Nous partons pour rejoindre l'esplanade du Château de Vincennes où il y a des runs sur 400 m depuis peu. Au niveau de la porte de Brancion, Périf extérieur, FLASH. Nous continuons notre route et dans la descente suivant la sortie porte d'Ivry un deuxième FLASH. Arrivés à Vincennes, Alain dit :

- Alors tu as été pris TOI ?
- Merde ! Moi il était grillé après votre passage.
Sort Philou.
- On se fait la piste aux étoiles *.
Proposai-je.
- OUI
! Répondirent-ils tous.

* Régulièrement sur le Périf les forces de l'ordre posaient plusieurs radars. Ça ne concernait que les voitures du fait du flash par l'avant. On était donc tranquille et on allait les allumer histoire de rire un bon coup, et cela plusieurs fois de suite.

On invite d'autres potes à se joindre à nous. On fait également un saut au Canon de la Nation, le fief du team où se trouvent d'autres membres. Nous reprenons le Périf extérieur. Ce soir là, ils nous avaient gâtés, ils avaient installé 4 radars: porte de Bagnolet et porte de Clichy en plus des deux autres. Imaginez plus d'une vingtaine de motos au-delà du raisonnable qui, l'espace de plusieurs minutes, éclairent le Périf de la lumière blanche du FLASH, et cela 4 fois de suite en un tour de Périf...

Rejoints par d'autres, nous nous lançons dans notre deuxième tour. Nous sommes plus de 35 motos, le spectacle est absolument extraordinaire à voir. On est tels des gamins qui, après chaque Flash, jubilent. Plus on roule et plus l'adrénaline coule en nous. Nous sommes tous presque hors du temps, hors de la réalité, sur une autre planète, ou tout simplement dans notre monde.

Arrive le troisième tour. Nous sommes rejoints par encore d'autres motards, ce qui monte le groupe à plus de 50 motos. Mais c'était le tour de trop. Arrivés à la porte de Brancion on commence à distinguer les gyrophares des BM de la police ainsi que leurs voitures et fourgons qui rentrent sur le Périf juste à notre passage et là ce fut sauve qui peut.

Je me souviendrai toujours de la tête de cet automobiliste porte de Bercy à l'entrée de l'autoroute A4, qui vit dans la courbe 5 motards de front le passer, suivis d'une dizaine d'autres sur 2 voies. Cette nuit sera à jamais écrite dans l'histoire du Périf comme bien d'autres d'ailleurs.

Petit à petit nos Arsouilles nocturnes et surtout nos courses sur le périf commençaient à coûter la vie à certain. Le phénomène de Rungis et son accidentologie se répétait malheureusement. Il n'y avait pas un vendredi soir sans une gamelle plus ou moins grave. Tous les 1ers vendredi du mois des courses s'organisaient sous la forme de défis entre tel ou tel motard. Généralement le défi était à celui qui irait le plus rapidement d'une porte à une autre sur le périf intérieur.

Une porte a été ouverte et les accidents se multiplient. Notre team ne fut pas en reste. En deux ans 6 des nôtres partirent dans des accidents dans lesquels seules nos vitesses étaient responsables. Il n'y avait pas un mois sans que l'on soit obligé de prendre la fuite suite à nos comportements sur la route et même devant des agents histoire de les narguer.

Nos gamineries et nos attitudes étaient devenues dangereuses pour nous et les autres.

Nos débordements ne se font alors plus uniquement sur le périf mais aussi en ville. Parfois ils sont tellement absurdes, comme ce soir de 1988 où de Bastille nous partons sur les Champs via la rue de Rivoli. Un nouveau membre Fanatique, roulant sur un des premiers Suzuki GSX-R 1100 rouge et noir immatriculé en France, s'amuse à tous les feux à faire un weel, repris par nous derrière "évidemment" ! On arrive sur les Champs en ayant plus usé la gomme arrière de nos machines que la gomme avant. Plus tard dans la soirée nous nous dirigeons vers la place Saint-André des Arts, lieu où l'on prenait nos quartiers d'été en dehors du Canon de la Nation. Nous prenons ensuite la direction des quais et là, juste avant le tunnel des Tuileries devant nous, deux BM de la Police. Fanatique, un barge parmi une bande de barges, décide de passer entre eux en Weel. Etant donné qu'il y avait la place il s'exécute. Le temps de réaction des deux motards est tellement rapide que fanatique est déjà loin, très loin. Derrière nous coupons et évitons le tunnel. Les deux BM ne pouvant qu'entrer dans celui-ci nous regardent nous éloigner. On continue notre route quand, arrivés sur Châtelet nous voyons un comité d'accueil. On avait senti le coup et donc nous avions pris notre temps. Les contrôles de papiers ont pris plus d'une heure, avec toujours la même question :

- Il s'appelle comment votre pote avec la moto rouge ?

La réponse était toujours la même:

- Quelle moto rouge Monsieur ? Ha l'autre là de tout à l'heure sur les quais ! Connais pas M'sieur.

Ainsi vont nos nuits parisiennes et nos virées. L'hécatombe commence à atteindre des chiffres insupportables à l'instar des machines toujours plus puissantes. Jusqu'au début 1989 ce problème restera parisien, les médias s'en fichaient un peu mais un jour il y eu... (mais ceci est une autre histoire que je vous raconterai plus tard).

Mon verre fini je regagne mon siège et décide de piquer un somme vue la longueur du vol, tout en me disant qu'à l'époque nous avions fait partie de ceux qui ont montré le mauvais exemple. Certes le contexte était autre, mais la vie aussi. Le mot solidarité motarde n'a pas attendu le net ni les années 2000 avec des pseudos chaînes d'entraide pour exister. Tout simplement car notre monde à cette époque vivait motard, un mode de vie aujourd'hui oublié par beaucoup même s'ils essayent de se la recréer via le net, un mode de vie que certain anciens comme moi feront perdurer dans notre mode de vie quotidiennement.

J'éteins mon plafonnier et m'assoupis. Mon esprit vagabonde encore et encore, pour arriver à cette fameuse année 1989.

Chapitre 04
Chapitre 06

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