Copyright © Moto Club Des Potes. Copyright © Moto Club Des Potes
Copyright © Moto Club Des Potes
Potarement - Chapitre 1

Mon Oncle Flat

Mon avion est annoncé avec deux heures de retard. Je m'assoupis et laisse mes souvenirs m'envahir.

Je vous ferai grâce de mes 12 premières années d'une vie d'un jeune à la campagne, ces souvenirs allant de la haine au regret de...

Nous voici à l'été 1976. Niglo & Shawo sont repartis. Les trois jours en leur présence ont été pour moi les trois jours les plus marquants de ma jeune vie. Douze ans et déjà cette envie folle de partir loin; partir au-delà des montagnes qui entourent mon village; partir loin des regards des autres qui depuis cet événement ne me regardent plus de la même manière.

Mon grand-père m'appelle :

- Pascal, viens ici ! Dit-il d'un ton ferme.
- Oui papy.
- Les gens du village m'ont raconté tes turpitudes avec ces blousons noirs...
- Mais papy !
Je le coupais en pleine phrase ce qui me coûta une gifle, mais je n'allais pas verser une larme.
- Ecoute moi ! Les gens du village m'ont raconté. Déjà que ta présence est mal vue car on ne connaît pas tes parents ici, et ça restera un secret de famille...

Comme souvent mon grand-père partait sur des envolées lyriques dès qu'il s'agissait de parler de mes parents. Ces derniers m'avaient un jour déposé chez lui pour aller travailler à la grande ville. Depuis ce jour je suis élevé par mon Oncle et mes grands-parents. Je ne sais pas qui ils sont, juste que ma mère est leur fille et que cela fait 12 ans qu'ils n'ont pas eu de nouvelles.

Tiens parlons-en de mon Oncle, qui se trouve en prison suite à un braquage. Ma grand-mère tenait secrètement un calendrier et me disait souvent :

- Il ne lui reste que tant de temps, ensuite il rentrera à la maison tu verras.

Et elle a attendu ce jour. Quand il est sorti il lui a promis de ne plus refaire d'erreur, mais là c'est une autre histoire.

Après ce quasi-monologue de mon grand-père qui se finissait comme d'habitude par :

- Tu comprends gamin, c'est pour ton bien !
- Oui papy.

J'ai la joue encore brûlante de la gifle de mon grand-père quand je cours me réfugier dans ma chambre pour verser à l'abri des regards des larmes d'incompréhension; pourquoi me refuser le bonheur ?

Nous sommes le 10 juillet 1976 quand, en rentrant de la pêche, je trouve une partie du village devant la maison. Une voix retentit :

- Voilà le petit.

Je vois ma grand-mère assise, autour d'elle le médecin et ses amies. Ma grand-mère et ses 85 printemps, une mère courage qui a connu les deux guerres, une femme qui, encore à son âge, allait à pieds tous les dimanches à l'église qui se trouvait à 3 kms de la maison et qui refusait que grand-père la conduise dans la «Carriole Motorisée» comme elle disait. Elle me fait signe, tout le monde murmure autour de moi, je suis inquiet :

- Pascal, dit-elle entre deux sanglots.
- Oui mamy.......... Mais il est où papy ?
- Justement papy, il était malade depuis quelque temps, c'est d'ailleurs pour cela qu'il ne pouvait plus conduire. Il s'en est parti rejoindre ses amis, le Seigneur l'a rappelé auprès de lui
.

Je me levai et pris la fuite aussi rapidement que mes jambes le purent me cacher dans le bois loin des villageois qui, du coup, compatissaient à mon malheur. La nuit venue, la peine atténuée je repris mes esprits, et rentrai chez moi retrouver ma grand-mère qui m'attendait, toujours assise sur le perron :

- Ha te voilà mon petit.
- Oui mamy.
- Rentre au chaud et mange cette soupe il faut que l'on parle, tu es l'homme de la famille maintenant..........

C'est à la suite de ces quelques mots que ma vie bascula de l'enfance insouciante au monde réel et à celui d'adulte. La case adolescence fut à tout jamais mise de côté. Je n'avais pas sur le moment appréhendé l'ampleur de ce jour.

Le jour de l'enterrement le village au complet est là. Arrive au loin une fourgonnette de la Gendarmerie. Il en sort deux gendarmes et mon oncle, menottes aux poignets. Il leur murmure un truc et l'un des deux gendarmes lui retire ses menottes et lui fait signe d'y aller avec un geste de sympathie et de compassion. Mon oncle court vers nous et nous prend dans les bras en nous disant :

- Maman ! Pascal ! Si tout va bien je serai à la maison d'ici 3 semaines.

Ma grand-mère part en pleurs, moi je retiens mes larmes, "JE SUIS L'HOMME DE LA FAMILLE".

Trois semaines plus tard mon oncle arrive et la vie prend alors une tournure que je ne soupçonnais pas. Il se hâte dès la première semaine de restaurer la vieille 125 MONET GOYON et me bombarde apprenti chef immédiatement. Le temps passe et un matin j'entends mon oncle hurler dans la cour :

- Pascal debout ! Ca y est elle tourne........

Je saute du lit, me précipite vers la cour et traverse la cuisine où ma grand-mère écosse des haricots. A sa tête je vois qu'elle a compris.......... Elle me regarde et sourit avant de reprendre ses activités. J'arrive dans la cour et entends le doux bruit de la 125, mais aussi celui du Cady. Elles tournent toutes les deux. Mon Oncle me tend un blouson bombardier en vieux cuir marron et un casque tout en me disant :

- Aller en route, on va en ville j'ai à faire. On fera ensuite le plein avant d'aller voir des amis à moi.

Nous voilà partis sur la route. Avec un blouson trois fois trop grand pour moi qui gonfle avec le vent. J'ai le frisson de la vitesse (toute relative 25/30 km/h) qui me saisit, une impression de liberté et un sentiment que demain et les jours qui suivent seront plein d'étoiles, et marqués par la moto. Ces premiers kms sont merveilleux et indescriptibles, c'est comme une impression que ma vie va basculer encore une fois vers un autre monde, une folle sensation que ces quelques kms vont déterminer la suite de mon existence.

Après être passés à la Gendarmerie où mon oncle doit se rendre pendant 3 ans pour signer un registre une fois par semaine, nous repartons vers le bourg voisin. Je n'avais encore jamais dépassé les limites du village et là, je me retrouve avec mon oncle sur ma Cady. Mon esprit part vagabonder au fil de la route avec mon Oncle qui me regarde de temps en temps en me faisant un signe comme pour me demander "Ça VA ?". Pour ne pas perdre ma concentration je lui réponds d'un signe de tête "Oui, ça VA" mais je n'en menais pas plus que ça. Je n'étais pas peu fier, mon Oncle étant pour moi une idole, ce voyou avec ses propres codes, cet homme que finalement je connais peu et inversement.

La route poursuit ses méandres quand je vois le panneau Loudéac 10 Kms. Je réalise alors qu'au fil des kms je me sens devenir un autre. Un être totalement différent, un "Motard" tout compte fait.

Voici enfin Loudéac poindre, nous nous arrêtons devant la concession moto du Village, mon Oncle me dit alors :

- On y est, descends ! Viens on va boire un coup................

Nous rentrons dans la concession et devant moi s'aligne de rutilantes motos : une Norton 650 Mercury côtoie une 750 Rocket 3 Bsa, un 750 SS Ducati, une 750 SF Laverda, un 350 Four Honda et plein de merveilles.

Mes yeux restent rivés sur un 125 LT1 Motobecane, une rencontre extraordinaire une fois de plus dans ma vie.........

Un Homme sort de l'atelier et vient vers nous :

- Alors vieille carne ils t'ont relâché depuis quand ? Dit l'homme à mon Oncle.
- Il fallait que je remonte mon vieux clou Nounours.

Là, je découvre que cette moto n'était pas à mon grand-père mais à mon Oncle.

- Bon tu viens chercher ta Moto ? Elle est toujours là, mais avant on va boire un verre.

Nous nous dirigeons au premier étage du magasin. Nounours sort de son placard 3 verres et y verse du vin. J'assiste alors à un dialogue entre mon Oncle et son acolyte partis à refaire le monde. Je suis là, les yeux écarquillés et les oreilles grandes ouvertes, pour ne pas en perdre la moindre miette.

J'entends parler de concentrations : Les éléphants, Les rencards de Bastille à la capitale, Les bastons sur Alésia et les arsouilles de Rungis. Pour moi c'est du charabia mais à les voir vibrer à chacune de leur histoire je reste sur mon tabouret et m'en imprègne.

La sonnette du Magasin vient troubler leur dialogue.

- Merde encore un client ! Sort, Nounours.

Il descend et rapidement appelle :

- Flat descends, devine qui est là ?

Je regarde autour de moi et vois mon Oncle se lever. Je devine que c'est lui qu'on appelle. Je le suis et en arrivant dans la boutique je vois une quinzaine de Motards. Je ne les avais pas entendus arriver tellement j'étais à boire les paroles de Nounours et de mon Oncle.

À voir l'accueil qu'ils lui font je comprends que mon Oncle est un des leurs. Je devine rapidement que Nounours est leur chef, le Boss quoi ! Nounours propose d'aller le soir même sur Rennes vu que nous sommes le vendredi soir et qu'ils se rencontrent sur place. Il se retourne vers moi et me dit :

- Petit il va falloir t'équiper toi.

Il me tend un casque intégral Bayard.

- Ça doit être ta taille, essaye-le............. Il te faut également un Blouson, un Rangers devrait t'aller.

Je me sentais un peu perdu. Je cherche mon Oncle des yeux mais je ne le trouve pas. Autour de moi ça bouge, je me vois équipé en quelques minutes. J'aperçois alors mon Oncle qui porte une combinaison Vogue-Sport Colorado, un Casque intégral AGV réplica, une paire de bottes Soubirac Bol d'or et des gants Racer Trophy. Mon attention se fige sur le groupe qui est devenu silencieux, et là d'un seul coup il s'écarte et apparaît un R69S BMW. C'est un BM équipé d'une fourche Earles, de freins tambours qui ne sont que symboliques, tout de noir vêtu et enchâssé d'un carénage Obus, une réplique de la BM qui dans les années 30 avait gagné le Tourist Trophy.

Nounours s'approche de mon Oncle et en lui tendant un paquet :

- Mets ça ! Ce sont tes Couleurs, maintenant que tu es revenu tu reprends ta place de Boss.

Je tombe de haut. En quelques semaines je découvre un Oncle et là, en une journée, je comprends qu'il est Motard, qui plus est à la tête d'une bande. Grand-mère ne m'en avait jamais parlé ni papy d'ailleurs. Je ressens en mon fort intérieur que ma vie sera faite autour de la Moto. Cette journée est pleine de surprises, mais là où je pensais avoir tout vu, et bien NON :

- Flat (mon Oncle) dit Nounours qui continue : Le môme tu ne penses pas le faire aller là-bas en Cady ?
- Tu rigoles mon grand, il y va avec le 125.
- Ok je lui prépare.

Dans mon esprit je me vois sur la MONET GOYON, et malgré mon assurance je n'en mène pas large. Je ne connais rien à ce monde, je n'ai que douze ans ! Le groupe se prépare et ma présence ne pose aucun souci. Je suis l'un des leurs, je fais partie de leur famille. J'ai l'impression de les connaître tous, ils portent des pseudos tout en couleur, Ricky, Marchelo, Doumé, Rapido ; tous ces noms ils les portent fièrement sur leurs «COULEURS». Ils les ont gagnés lors de faits d'armes ; c'est ainsi qu'ils nomment leurs exploits. À l'unisson ils préparent leurs machines avec amour et là j'entends du fond de l'atelier la voix de Flat.

- Pascal vient voir, monte sur ça.....

Devant moi se trouve un 125 Motobecane équipé d'un carénage Eram et de bracelets Tomaselli d'un bleu gitane. Je m'assois au sol et ne peut contenir mes larmes. Incontestablement cette journée est pour moi chargée de surprises et d'émotions fortes.

Nous partons en direction de Rennes. Arrivés à destination nous longeons un grand parking sur lequel il y a déjà pas mal de monde, environ une centaine de motards. Sur place ça discute moto, dans quelques semaines aura lieu dans le secteur une concentration, ce qui occupe la plupart des conversations. La nuit s'avançant petit à petit, mon oncle me rejoint et me dit :

- Petit tu vas rentrer avec Nounours, je pars avec mes potes régler une affaire. Ne dit rien à Mamy.

De retour chez Nounours je reprends mon Cady la tête plein de souvenirs. Il est 4 heures du matin quand j'arrive à la maison. Grand-mère est assise dans la cuisine, elle ne dort pas encore. Elle me dit :

- Il les a retrouvés ?
- Qui ça mamy ?
- Ton Oncle est resté avec sa bande ?
- Oui Mamy, et je ne sais pas où il est allé....

Elle me fait signe d'aller au lit et prend son chapelet qu'elle ne quitte plus depuis la mort de Papy. Il est 9 heures du matin quand la fourgonnette de la Gendarmerie s'arrête dans la cour. Du véhicule descend le brigadier chef. Il s'approche de ma grand-mère et lui parle. Je vois la scène depuis la fenêtre de ma chambre. Ma grand-mère les chasse fermement. Elle rentre à la maison en vociférant des phrases que je ne comprends pas entièrement; je saute dans mon jeans et dévale l'escalier :

- Il y a un souci Mamy ?
- Oui le grand dadais, ton Oncle a quitté la région et s'est fait piquer par les charognards. Il va en prendre pour 3 ans, c'est ce qu'il lui restait à faire.
Dit-elle en secouant la tête.

Je viens de retrouver un Oncle et le reperds aussitôt. Ce passage de ma vie restera marqué dans ma mémoire. Je ne revis mon Oncle que 14 ans plus tard !

Ma vie reprend son cours et la rentrée des classes arrive.  Ma grand-mère, ne pouvant s'occuper de moi, me met dans un pensionnat du coin géré par des bonnes soeurs. Cette décision sera lourde de conséquences.

- Monsieur un Café ?

Je sursaute et sors brusquement de mes pensées. Une charmante hôtesse me propose un café pour nous faire patienter pendant le retard dû au mauvais temps, un Blizzard rarissime pour la France......

Avant Propos
Chapitre 02

Copyright © Les éditions du Moto Club Des Potes

Ce Roman est exclusivement la propriété de son auteur et celle du Moto Club des Potes.
Toute utilisation totale ou partielle, sauf autorisation contractuelle est interdite.