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Potarement - Chapitre 07
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Et de Deux...
J'arrive à l'aube de mes 30 ans, nous sommes au début de l'année 1994. 30 ans, l'âge de raison, l'âge de sagesse, mais l'âge CON aussi...
Comme pour beaucoup le cap de la trentaine
est difficile, et surtout pour moi qui vais le passer seul sentimentalement
parlant. Je vis en plus d'énormes difficultés financières depuis mon dernier
carton et le décès de Kate. Un soir je prends mon 900 CBR en direction de
Avec mon désespoir comme seul partenaire
me voilà rendu sur ce Circuit, le périf et ses dangers. Après deux tours à une
vitesse folle, je prends de plus en plus de risques quand, à la sortie du tunnel
de
Ce mercredi soir vers 2 heures du matin mon destin bascula. Personne n'était au courant de ce que je faisais. Le choc est tel que je tombe dans un coma immédiat. Les flics en arrivant sur les lieux ont eu une réaction de rejet envers l'automobiliste. Il faut dire qu'il était en état d'ébriété et voulait prendre un taxi pour rentrer chez lui. D'accord j'étais en tort du fait de ma vitesse excessive mais l'attitude du chauffeur a fait que tous les torts lui ont été imputés; pour une fois que le doute était en ma faveur...
La nuit est froide, je suis ailleurs.
Après une semaine de coma je me réveille. J'entrouvre un il et je vois un visage que je ne connais pas et qui s'écrit :
- Docteur il a ouvert un il !
De suite débarque une tripotée de gens autour de moi, je ressens alors une faiblesse :
- On est entrain de le perdre, vite...................
Plusieurs jours après je reprends connaissance. Devant moi toujours ce visage d'ange, suis-je au paradis ou bien entre deux cieux ?
- Bonjour. Me dit-elle.
- Où suis-je ? Ma bécane où est-elle ? Tu es qui toi ? Sur un ton qui, je sus plus tard, fut agressif.
La petite part en pleurant, puis revient avec une infirmière. Les jours passent et je commence à recouvrer mes esprits. Au fur et à mesure des jours, je me souviens de plus en plus de choses mais avec des lacunes. Je connais mon nom mais suis incapable de donner le nom d'une personne à prévenir, ni de donner des détails sur un tas d'autres éléments de ma vie.
Les semaines passent et la petite que j'avais vue lors de mes deux précédents réveils vient à mon chevet tous les jours. Elle est élève infirmière, elle s'appelle Isabelle et est dans sa dernière année. Elle doit passer son Diplôme d'Etat dans 3 semaines. Elle a fait un mémoire dont je suis le sujet. Elle est fiancée à un jeune ch'timi de Strasbourg et dès son diplôme en poche elle fera tout pour le rejoindre.
Mes Potes n'ayant pas de mes nouvelles me recherchent mais malheureusement ne pensent pas au carton. Ils supposent que j'ai pris le large avec le bourdon que j'avais attrapé.
Les mois passent et je commence à peine à recouvrer mes esprits quand, à la fin de l'été, devant un reportage sur une manifestation moto, tout me revient d'un coup. D'après les toubibs il y a eu un facteur déclenchant qui a stimulé ma mémoire, sûrement ce reportage, et qui a permis d'ouvrir la porte à mes souvenirs.
Je donne les coordonnées de Coyote, Niglo, Shawo et Obelix qui débarquent presque aussi sec. Shawo qui, derrière son gabarit d'armoire bretonne cache un coeur énorme, et qui en pleurant me dit:
- On t'a cherché mais on n'a jamais su que tu étais là.
J'apprends que les banques ont saisi mes biens pour se rembourser et qu'ils n'ont rien pu faire. Avec les frangins ils ont récupéré un maximum d'affaires avant la saisie et les ont planquées dans un local. Ne faisant pas partie de ma famille, l'Administration n'a jamais voulu leur dire où je me trouvais.
Je commence à me remettre. Du coup je suis de nouveau transféré au centre de rééducation de Garches où j'apprends que je serais SDF si avant de sortir du centre je ne trouve pas une solution.
" Il m'aura fallu une bonne dizaine d'années
pour que je gagne mes différents procès avec eux et récupérer financièrement
ce que j'avais perdu avec les dommages et intérêts. |
Arrive enfin la rééducation. À l'époque je n'ai pas envie de m'en sortir, et pourquoi déjà ? Pour qui ? Là était la question.
Un matin le Kiné passe me voir et me demande si je suis prêt à sortir de mon lit. Les toubibs commencent à être inquiets car si tu n'as pas la volonté de guérir il est impossible de faire une rééducation digne de ce nom. C'est un travail d'équipe, le Malade, le Moral et le Kiné doivent être en adéquation. S'il en manque un la rééducation est impossible. Ma réponse ce matin là est la même que depuis le début "NON !", et il continue son chemin. Je vois apparaître dans l'entrebâillement de la porte de ma chambre les roulettes d'un fauteuil, un môme y est assis :
- Salut. C'est toi le grand motard qui a tapé sur le Périf !
- Ouais ! Ca te regarde ? Lui répondis-je d'un ton ferme.
- OK, je voulais simplement voir la tête d'une femmelette qui a peur de se lever de son lit, peur de voir ce qui se passe dehors, peur de la réalité, peur d'affronter le monde dans son état, mais surtout peur du regard des autres. Tu me déçois, je te prenais pour un motard, un pur qui se battrait jusqu'au bout.
- DEGAGE MERDEUX ! Lui rétorquais-je.
Il claque la porte et part. Je sonne et resonne, l'infirmière arrive et je lui explique :
- Putain il y a un merdeux qui m'a dit......
- Ha Vincent, ton voisin.
- Ouais Vincent ou pas, il se prend pour qui ?
- Ben simplement pour un gamin de 11 ans qui a perdu son père, sa mère et ses deux sœurs dans un accident et qui restera tétraplégique à vie. Il ne comprend pas que l'on n'essaye pas et qu'on baisse les bras trop vite.
Je deviens blanc et lui demande d'appeler de suite le Kiné. Je souhaite sortir de ce lit même si c'est pour aller dans un fauteuil pour l'instant. Le kiné arrive, je serre les dents et je me retrouve dans ce fauteuil. Je sors vers l'inconnu, ma tête me tourne, il y a trop de monde. Mes premiers mètres sont durs mais je m'accroche. Je cherche ce Vincent pour m'excuser. Le voilà ! Mais il part en examen, ce n'est pas grave je le verrai plus tard.
Le temps passe et Vincent s'en retourne chez une tante dans le bordelais, et moi malgré des hauts et des bas je continue d'y croire même si les toubibs me disent "Monsieur la Moto c'est fini, même si vous quittez cette chaise". Je reconnais que cette perspective ne faisait alors pas partie de ma vision des choses, je referai de la moto un point c'est tout !
En ce vendredi soir de mars 1995, alors que je suis de plus en plus autonome, on m'accorde ma première sortie pour 48 heures. Les potes débarquent et nous nous dirigeons vers Bastille.
Je suis là, et je ne saurais l'expliquer. Je ne saurais sûrement pas, dans ces quelques lignes, faire ressortir l'émotion et la force de ce moment là. Mais comment oublier ce soir là, comment ne pas croire à un rêve, comment ne pas... ? Je plante le décor, nous sommes avec la bande devant la Fnac de l'Opéra Bastille. Il y a au bas mot plus de 600 motards. Autour de moi une trentaine de frangins. Entre le brouhaha des motos qui arrivent et partent de la place les questions fusent. Le faible éclairage avec tous les motards en cuir sombre donne au mieux une sorte de pénombre artificielle. Par manque de place certains se stationnent sur le trottoir entre la rue de la Roquette et Boulevard Richard Lenoir ; cette partie encore moins éclairée est entourée d'une pénombre indéfinissable.
Petit Historique: La Place de la Bastille, haut lieu
des rencards motards depuis toujours. Dans les années 70/80 le Rendez-vous
était sur le parking géré par la ville de Paris, coincé entre le Boulevard
Bourdon et le Boulevard de la Bastille, juste au niveau de la station
de métro et dominant le canal de l'Ourcq. Le lieu exigu était souvent
encombré par de pauvres automobilistes qui, s'ils n'avaient pas retiré
leur véhicule avant 21h00, avaient de grandes difficultés pour en sortir... |
Revenons en ce mois de Mars 1995, dans cette foule et cette étrange pénombre j'aperçois en direction de l'Opéra, sortant du passage piéton de Richard Lenoir, un Ange, comme si un rayon de soleil accompagnait cette magnifique femme. C'est obligatoirement un ange me dis-je. Avec sa longue chevelure elle traverse cette masse obscure peuplée de motards. Plus je la regarde plus nous sommes attirés l'un vers l'autre comme des aimants.
Elle est là, puis elle avance, miracle elle s'adresse à nous :
- Salut je passe mon permis et on m'a parlé du 400 Bandit, vous connaissez ? Nous demande t'elle d'un ton angélique.
Aussitôt dit, elle se retrouve sur le 400 Bandit d'Antony, cheminot de son état. On entame la conversation et je lui donne ma carte. Elle quitte cette place tout comme elle y était arrivée, sous un halo de lumière. A croire que c'est un mirage ou une hallucination. Malheureusement, la seule chose que je sais d'elle c'est qu'elle vit dans le quartier.
Dès mon retour au centre mes progrès sont impressionnants. Je charge les frangins de retrouver cet Ange, et durant plus de six mois ils feront tous les magasins et le tour des gardiens mais en vain. Se pouvait-il que cela ne soit qu'un fait de mon imagination ? A-t-elle réellement existé ? N'était-ce pas qu'un mirage tout simplement ? Cette scène ne s'était-elle pas uniquement passée dans notre inconscient ? Ces recherches resteront vaines, ce qui me fait dire que c'était sûrement un Ange qui passa et qui repassera peut-être un jour, QUI SAIT...
En fin d'année 95 je sors du centre et doit attaquer un reclassement professionnel. Par fierté je ne fais pas appel à mes frangins et décide de me démerder seul. Jusqu'au mois de Juillet je dors dehors entre foyers d'accueil et cartons dans un coin de la gare d'Austerlitz. J'ai récupéré mon ancien 500 XLR qui est monté en supermot, un hybride entre mono et 400 Bandit.
En juillet je trouve un appartement près de la place de la Bastille dans le 11ème Arrondissement. Mon 500 me lâche et je me prends un 650 US Honda four Custom, une vieille mémère, que je touche une poignée de cerises. Je m'installe mais le moral n'est pas là. Je commence à préparer mon départ pour la fin de l'année, pour m'en retourner au Québec, et surtout retrouver Montréal...
A moins de 12 heures de mon départ, en ce Vendredi 18 Octobre, il pleut et il fait froid. Il est 20h00 quand le grelot sonne :
- Pascal tu viens à Bastoche nous dire adieu ce soir ?
- Je pars demain... Bon je vais voir mais ce n'est pas sûr du tout....
Je raccroche....
- Veuillez attacher vos ceintures nous amorçons notre descente sur l'aéroport de Montréal.
Je sursaute et ouvre les yeux. Une hôtesse
me demande d'attacher ma ceinture, j'arrive à destination. Ils annoncent un
temps sec et froid dehors, tout juste
Chapitre 06 |
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