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Potarement - Chapitre 06

1989 et ...

Ha l'année 1989! Année faite de joies et de malheurs.

Début 89, il y eu l'affaire du Prince Noir. Une affaire tellement médiatisée que vous raconter ici les faits serait trahir un pacte. Mais vous parler de l'avant et l'après de cette affaire, ça OUI on le peut ! Vous me direz que l'on pourrait donner son nom après plus de 20 ans; on pourrait dire s'il est mort ou non; on pourrait enfin dévoiler la vérité, ET BIEN NON ! Un pacte est une promesse entre frangins de la route, ou comme diraient d'autres, des trompe-la-mort. Un tel pacte ne se trahit pas même plus de 20 ans après. La seule chose qui est sûre c'est qu'il vit, et il sourit souvent de la médiatisation qui est faite régulièrement sur cette affaire.

Tout commence au début de l'année 89. Une équipe d'une société de production mandatée par une jeune chaîne de télé débarque porte Maillot pour faire un reportage sur le phénomène James Dean qui sévit sur le périf. Les accidents sont de plus en plus fréquents et notre génération encore jeune, entre 25/30 ans, avait ouvert la boîte de Pandore concernant le périf. Certes nous n'étions pas les seuls responsables. La montée en puissance des machines sur le marché, "Toujours plus vite, Toujours plus fort", ne pouvait que nous permettre de faire encore plus et repousser les limites encore et encore.

Mais tout ceci ne devait pas nous faire oublier que si demain nous voulions que nos enfants puissent rouler librement en moto il fallait calmer le jeu. L'état regardait le phénomène s'étendre à la province et aux grandes villes, où les courses sauvages commençaient à s'organiser avec son lot d'accidents un peu partout en France. Des Runs sur les routes ouvertes du bois de Vincennes commençaient aussi à compter leurs victimes, surtout au niveau des mômes avec leur MOB Kittées.

Que faire ? Là est la question grandissante qui se posait depuis peu dans notre monde. Cette équipe de télé nous permettait de faire passer un message fort, alors pourquoi pas. Nous étions un peu naïfs sur le coup. Voici ce qu'il s'est passé:

Cette équipe nous offre la possibilité de nous exprimer. Le but est que l'un des acteurs du vendredi soir montre ce que l'on veut dénoncer. Nous sommes cinq :

- Écoute, on donne le prénom d'un d'entre nous, l'âge d'un autre et on prend la moto du mag et c'est tout. On gardera secret le pilote.
- Ok pour nous, pour nos 50 piges, on dira la vérité.

Le pacte est celé à la Pomme de Pain sur les Champs-Élysées. Le RDV est pris pour le Week-end tôt le matin. Des images sont tournées par la production, un wheel par ci par là, notre montée porte Dauphine en bande. On n'y voyait pas de mal, toujours dans l'idée que c'était le seul moyen pour refermer cette boîte de Pandore ouverte depuis quelques années par notre génération.

Le matin arrive. Lolo, le pote de toujours, est là avec son chrono. Ceux qui ont cru à un montage fait par un motard isolé se sont trompés. Nous sommes en 1989 et la technologie utilisée n'est pas accessible au motard lambda. Elle vient en fait de la compétition auto. Il y avait pour plus cher en caméra qu'en moto. Malheureusement le piège tendu se refermera sur nous. Le Prince fait son tour, la bande est récupérée par les mecs de la production et chacun rentre chez soi.

Quelques jours plus tard, dans le 20heures de cette jeune chaîne de télé en recherche d'audience, la vidéo est diffusée comme un scoop. Le début de la manipulation commence. Cette vidéo serait arrivée sur le bureau de la rédaction comme par magie. Elle aurait été faite par un motard.

De suite l'Etat et l'opinion publique sont montés aux créneaux. Il leur fallait un fer de lance pour nous taper dessus, il l'avait créé. Par la suite il y eu des pseudos Prince Noir un peu partout sur les plateaux télé, comme dans "Coucou c'est Nous" mais également dans d'autres émissions...

Le Team décide alors de se retirer de cette affaire et essaye d'oublier. Quelques semaines après, la même équipe de production débarque à Vincennes. Les motards présents les prennent à partie et ils sont vite pris en otages dans leur voiture. Les flics, peu nombreux, se retirent et regardent de loin. Ils filmaient pour l'émission "Reporters" de la même chaîne que celle qui nous avait mis dedans dans l'affaire du Prince. Après d'âpres négociations ils acceptèrent d'écouter nos revendications et l'un d'entre nous passa en début de reportage en tant que notre porte-parole pour dénoncer la manipulation sur le Prince et donner notre vision du monde de la Moto. Mais seule une infime partie de ce que l'on avait à dire passa à l'antenne, comme d'habitude.

En février Le Team avait repris le cours de sa vie. Alors que comme tous les matins je partais de Montreuil pour me rendre à mon nouveau travail sur les Mureaux, dans le plus grand Magasin moto de l'Île-de-France, "Geantissimoto" (4 étages de motos, plus de 6000 m² consacrés à la moto), en sortie du Tunnel de St-Cloud je tape fort, très fort. Je me trouve sur le bord de la route gravement blessé. Certes ma vitesse est en cause mais la voiture qui m'a coupé la route aussi. La moto du magasin, un Yamaha 1000 FZR Genesis de 1988, est en 3 morceaux.

Je suis sur le bord de la route et j'attends groguis. A l'arrivée des pompiers je tombe dans un coma profond. Il durera 20 jours. Puis pendant 4 mois je reste dans un état semi-comateux. Et la série noire continue : Kate, Titi et Daffy, alors qu'ils venaient me voir le lendemain de ce grave accident, furent retrouvés gisant au sol sans vie à côté de leurs machines. D'après la Police c'était un choc avec un véhicule qui avait pris la fuite.

De ces chauffeurs de voitures qui se croient invincibles au volant, leur auto devient une arme car ils ne se remettent jamais en question. Ces automobilistes qui considèrent que le clignotant est une priorité, que les motards sont des marginaux avant tout et font partie d'un monde qui n'est pas le leur, une sous-espèce d'individus selon leurs critères de vie basés sur "On va l'Eglise tous les dimanches, donc nous Sommes, donc si nous sommes nous pouvons, et  si on peut c'est que nous Sommes". C'est ce que j'appelle la théorie du nombrilisme où un bon père de famille dans sa puissante berline devient un CON, prêt à tuer pour gagner 5 mn, et qui peut tuer et rentrer chez lui la conscience tranquille, puisque ce n'était qu'un accident de la route, sans jamais se remettre en question  !

Les frangins enterrent Kate et les potes. Niglo, Shawo et d'autres reprennent l'enquête bâclée par les flics. Ils recherchent durant des semaines l'auteur de ce délit de fuite, et je peux vous dire que lorsqu'ils avaient une idée en tête ils ne lâchaient pas l'affaire. Leurs entrées dans le milieu policier leur permettent d'avoir accès à des pièces du dossier. Ces pièces les mettent rapidement sur une piste qui les mènera au nom du chauffeur, un notable du 78 qui, avec son fric, avait pu s'acheter un alibi. Le seul souci en France c'est que l'intime conviction et les soupçons à charges ne suffisent pas pour la Justice. Seules les preuves probantes sont religion. Et quand l'argent et les relations de castes rentrent en compte, il est presque impossible d'avoir justice.

Les membres du Team espacent leurs visites. Seuls les amis proches restent et viennent régulièrement me voir quand en ce début d'été je reprends mes esprits. Je commence doucement à reprendre vie et à me souvenir. Shawo, la nouvelle apprise, est le premier à mon chevet, suivi plus tard par les amis et frangins. Après une quinzaine de jours je commence à poser des questions :

- Dit Shawo Kate où est-elle ?
- Heu elle est en voyage pour son taf mon petit, repose-toi.

Le ton de sa voix lors de sa réponse me fait dire que ce n'est pas la vérité, mais mon état ne me permet pas encore de tout comprendre à 100%. Une semaine se passe et là débarquent dans ma chambre Coyote, Niglo, Shawo, Obelix, Princesse, Pitt Mouss et Philou. Je suis surpris de les voir tous là ensemble en même temps, je regarde en attendant de voir rentrer Kate.

De suite à leur tête je comprends que ce qu'ils ont à me dire n'est pas le temps qu'il fait dehors mais bien pire :

- Pascal, voilà, Kate comme Daffy et Titi ne viendront pas, commence Shawo.
- Ils sont partis où encore ces bourrins ? Lui dis-je en le coupant.

Princesse partit en pleurant et je compris. Je hurle "NON !". L'infirmière mise au courant de leur démarche entre dans la chambre et me fait une piqûre pour me calmer. La vie s'arrêtait là pour moi. Pourquoi vivre un instant de plus, pour qui, pour quoi ?

Depuis ce jour là, la vie n'aurait à mes yeux plus le même goût ni la même ferveur. A ce jour, la plaie ne s'est pas refermée entièrement, elle est là et restera toujours dans un coin de ma mémoire.

Je n'avais pas été là pour la mettre en terre ni pour lui dire ce que j'avais à lui dire. Quelques jours avant ce drame on avait décidé de se marier. Pour moi j'étais dès lors devenu Veuf.

Autour de moi la solidarité de mes amis s'organise. Je pars en centre de rééducation de Garches où on m'annonce que la moto pour moi c'est fini, et qu'en refaire serait jouer à la roulette russe avec ma vie.

Il me fallait garder mes larmes et respecter le long sommeil dans lequel se trouvaient Kate et mes amis Daffy et Titi. Je me devais de vivre entre Ombres et Lumières. Petit à petit Shawo me raconte comment s'était passé le carton de Kate et me promet qu'un jour on aurait notre vengeance; que la patience et la sagesse étaient mieux.

Je me raccroche à ça pour sortir rapidement de ce centre de rééducation. Nous sommes en 1992, je sors du centre et de suite mon but est de reprendre la moto. Je m'achète un 1000 CBR, avec une ligne "Vance & Hines". Mon attitude sur la route est devenue plus suicidaire que raisonnable. N'ayant plus rien à perdre, je prends de plus en plus de risques.

Rapidement je retrouve le Team qui se recompose petit à petit. Nous voici de nouveau sur les routes. Le périf étant devenu trop petit, nous écumons les routes des quatre coins de la France et de l'Europe. Nos virées deviennent progressivement de bonnes excuses pour jouer avec les limites, comme lors de ces 24hrs du Mans 1993 pour fêter mon deuxième 1000 CBR.

On se donne RDV place de la Nation le vendredi soir. Une quinzaine de motos suite à une annonce faite de bouche à oreille. Les motos allaient du Suzuki 1100 GSX-R au Yamaha 1000 FZR en passant par les premiers Honda 900 CBR et un paquet de 750 et 600 sport. En tout une bonne vingtaine de motards, passagères comprises.

Nous partons "Grand Gaz". Le temps est à l'humidité, et au premier arrêt au péage de St-Arnoult nos pneus fumaient tellement le rythme avait été rapide. Au péage, Coyote, qui roulait sur un FRZ 1000 EXUP, me sort :

- Putain Pascal ton CBR il carbure à quoi ?
- Ben devine
. Lui répondis-je avec un sourire qui en disait long.
- Ben moi je vous pourris avec mon 900 les doigts dans le nez, rajoute Pioupiou un nouveau membre du team.

Coyote et Moi relevons le défi, tous aussi puérils que débiles mais en ce temps...

Nous répartissons nos bagages sur les différentes machines présentes et prenons RDV avec eux au péage du Mans. C'est parti, 45 mn de péage à péage. Lors de notre arrêt essence, je me souviens des yeux des mecs présents nous voyant rentrer avec nos machines comme des fous, remplir nos réservoirs et repartir aussi sec comme sur pit stop de circuit. Arrivés au péage du Mans un stand nous accueille avec un café; nous attendons le reste du Groupe.

Entre temps arrivent les différents groupes que l'on avait doublés. Nous étions garés un peu plus loin et les regards se portaient vers nous. Certains vinrent vers nous :

- Putain les mecs on était dans la station Total quand on vous a vu passer, merde vous alliez à combien ?
- Heu 280 mais j'attendais les autres, r
épond Pioupiou.
- Les mecs délires ! On faisait le plein à la dernière station quand on a entendu dans la nuit vos machines. Juste le temps de tourner la tête et Hop vous étiez passés ?
- Vous êtes des dingues !

Il y avait aussi les mecs qui nous avaient pris pour des cons et en passant devant nous, nous dévisageaient d'un air méchants tout en faisant passer leur message : "Vous êtes des tarés".

Le groupe arrive enfin et nous voici en direction du camping. Du péage au circuit il y eu plus de 20 barrages filtrant suite aux évènements de l'année précédente.

Petit rappel :

Durant la quinzième édition des 24hrs du Mans, il y a eu 9 motards qui sont décédés. Depuis 1989 les pouvoirs avaient mis en place en ville un dispositif anti-rodéo. Ces rodéos se faisaient en marge de la course et ce système fut efficace en 1990; il y eu un mort et quelques blessés. En 1991 il sera recensé 40 cartons, 60 blessés graves et 150 spectateurs seront admis. Alors que 1992 se devait d'être l'année où tout reviendrait dans l'ordre, le samedi à 18h30 premier carton avec un anglais de 32 ans et un allemand de 37 ans qui se percutent de pleine face et décèdent. Dix minutes plus tard, suite au freinage d'urgence d'une R12 arrivant sur un accident, un jeune motard vient s'encastrer avec son père dans celle-ci. Le jeune meurt, le père est lui grièvement blessé. 19h30 deux jeunes de 26 et 27 ans se croûtent dans un rond-point et décèdent tous les deux. 0h07, l'accident le plus horrible se produit sur l'autopont, deux motos se percutent ce qui fera 4 morts dont une passagère qui fut éjectée par dessus la rambarde de l'autopont, et termina sa chute plusieurs mètres plus bas.
L'émotion fut tellement forte que dans la matinée de dimanche les forces de l'ordre décidèrent de quadriller tous les alentours du circuit et sur tous les axes de retour. Il y a eu 491 PV distribués, une hécatombe triste qui te glace le dos.

A la vue de ces barrages je me dis que notre escapade de l'aller était bête et que le retour se fera doucement. La ville est en état de siège. Nous plantons nos tentes et allons dormir. Toute la nuit un British fait péter au rupteur sa 750 Stinger, et quand au matin un gros "BOUM" Retentit et qu'une énorme plaque d'huile se répand sous sa machine, une salve d'applaudissements se fait entendre. Ce n'était pas pour lui dire : "BRAVO MEC" mais pour dire : "Tant pis pour toi, tu as joué tu as perdu".

A la fin du Week-end nous repartons sur Paris sagement. Mais le courant commence à ne plus passer avec l'ambiance des 24hrs. Ce n'est pas au niveau de la course elle-même mais plutôt au niveau du public qui, cantonné dans l'enceinte et les campings, ne fait que boire en faisant des Burns et des Rupteurs. A leur retour ce sont les mécanos de leurs concessions qui vont être heureux. Nous étions dans le team des furieux de la vitesse mais dans le respect de la mécanique. Jamais on aurait fait des Burns à exploser nos Pneus et le lendemain fait la quête pour pouvoir mettre un pneu neuf afin de rentrer chez soi.

Je n'ai vu ces comportements que sur les deux grandes courses que sont les 24hrs et le Bol d'or, avec lequel je suis encore moins en adéquation. Un autre fait me conforte dans mon retrait de ce type de rassemblement. En cette année 1993 lors de notre retour du Bol D'Or, en rentrant dans la descente du bossée suivant une amie en voiture qui transportait toutes nos affaires, on voit un mec le casque à la main. Je m'arrête et demande au mec si ça va et il m'explique que le temps d'aller faire pipi il s'était fait piquer sa machine et que ses potes étaient partis sans lui. Le pire c'était qu'il était de Lille. Qu'à cela ne tienne, je le prends en passager et on rentre sur Paname. A Paris un autre pote du team le conduit à Lille. C'est suite à de tels comportements que je commence à me demander si la démocratisation de la moto n'a pas été une volonté de l'Etat pour justement détruire notre monde, du moins son noyau dur qui avait le pouvoir de fédérer et mobiliser les foules, en les noyant dans la masse des utilisateurs.

Car il est vrai que depuis quelques temps le monde du 2 roues a de plus en plus de mal à se mobiliser lors des manifestations. La démocratisation de la moto a amené pas mal de petits jeunes encore plus insouciants que nous l'étions à leur âge, mais avec une autre mentalité. De ces jeunes qui viennent à la moto par rébellion et en partent aussi vite après la constitution d'un foyer, rares sont ceux qui y reviendront plus tard.

Une génération de possesseurs de moto, sans l'esprit, sans l'âme, avec la flamme mais pas la même, la flamme de la rébellion plutôt que la flamme sacrée du Cheval de Fer.

Cette année 1993 aurait dû m'ouvrir les yeux et aurait dû faire prendre une nouvelle direction au Team.

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